Langage et société, n° 139/mars 2012

Dans le contexte des transformations de l’anthropologie linguistique du milieu du vingtième siècle, mais aussi de l’émergence concomitante de la sociolinguistique, et des renouvellements théoriques en linguistique avec, puis après Noam Chomsky, Dell Hymes prendra vigoureusement position pour une approche simultanément sociologique et linguistique des faits de langage – une approche centrée sur l’exploration de l’activité langagière dans les situations sociales. Très largement exposé dans des textes programmatiques publiés entre 1956 et 1975, avant que Hymes ne se tourne davantage vers les problématiques de l’ethno-poétique et des enjeux linguistiques liés à l’éducation, le paradigme de l’ethnographie de la parole en acte (speaking) et de la communication, sera aussi introduit d’un point de vue théorique et ethnographique grâce à deux ouvrages publiés en codirection avec John Gumperz (1964, 1972) ; d’autres suivront, publiés notamment sous la direction de Richard Bauman et Joel Sherzer (1974). C’est que l’expansion, l’exploration ethnographique systématique, et le renouvellement du programme initial – situé à la croisée de plusieurs courants, de l’anthropologie (Malinowski, Boas), de la linguistique (Sapir, Jakobson et la linguistique de Prague), de la sociologie (Goffman et les ethnométhodologues), et de la philosophie du langage (Austin et Searle) – seront menées par une poignée de chercheurs formés par Hymes, et d’autres qui seront inspirés par cet héritage. C’est à eux que l’on doit quelques unes des recherches les plus originales de l’anthropologie linguistique et de la sociolinguistique d’aujourd’hui, tant au plan conceptuel qu’empirique ou ethnographique : par exemple, sur la socialisation langagière, la compétence de communication en situations multilingues, l’action discursive, la grammaire et la poétique en contexte de performance, l’indexicalité, les idéologies langagières. Ce numéro de Langage et Société offre un aperçu de la diversité de ces recherches qui prolongent et renouvellent parfois radicalement les initiatives et l’héritage de Dell Hymes. Il se veut donc un hommage aux travaux de ce défricheur, hommage rendu non de façon hagiographique, mais bien ancré dans les recherches et questionnements contemporains.